dimanche 17 juin 2012

"Guérison".

Je sais bien que les mots sont traîtres, qu'on peut leur faire dire beaucoup de choses, mais j'en viens à me demander si le mot "guérison " qui commence à me chauffer les oreilles, n'en fait pas partie.

C'est un mot très utilisé dans le renouveau charismatique. Parfois avec mon mauvais esprit, je me dis que c'est un beau filon de revenu, car des souffrances nous en avons tous, alors ne plus souffrir (mais est cela être guéri) qui ne le désire pas? Donc proposer des anamnèses ou des retraites, c'est quand même une bonne source .

Il me semble aussi que en grec le mot guérir et le mot sauver est le même. Est ce que la guérison donne le salut ou est ce que la salut donne la guérison? Vaste question à laquelle je ne répondrai pas, du moins pour le moment. De quoi devons nous être guéris? De nos blessures ou de nos aveuglements actuels? Si les blessures sont cicatrisées, faut il les rouvrir? Oui s'il y a du pus dessous, non si c'est sain. Enfin cela c'est ma manière de penser aujourd'hui. Par contre les aveuglements, cela c'est autre chose.

Oui, il y a des prières de guérison, oui il y a des prières de délivrance et cela a du bon car il y a des liens pathogènes qui doivent être déliés, et qui une fois déliés permettent à la personne délivrée de regarder le monde autrement, avec un regard neuf. C'est ce regard différent qui est pour moi important, là j'y reviendrai.

Oui il y a des personnes qui ont un charisme de guérison. Mais Jésus n'est pas venu que pour guérir. De fait j'en ai un peu assez d'entendre sans arrêt parler des blessures, et des conséquences de ces blessures (parce que j'ai été blessé, mon comportement est devenu déviant et je dois demander pardon aux personnes que j'ai pu moi blesser sans faire exprès, sans même le savoir). Il est certain que le fait d'avoir passé des années sur un divan de psy me rend un peu rétive à tout ce qui est (même si ce n'est pas explicite) de l'ordre de la culpabilisation. Si pour ma part je crois à la force du pardon donné , je ne pense pas que ce soit toujours possible, et il n'est pas question de culpabiliser quand c'est impensable compte tenu de l'atteinte.

Il me semble aussi que parfois il faut peut être accepter de vivre dans le présent, de ne pas laisser le passé contaminer le présent et le futur, et sortir de la victimisation. Et cela c'est peut être une guérison dont on parle moins.

Quand Jésus ouvre le coeur des disciples d'Emmaüs à l'intelligence des écritures, s'agit il d'une guérison ou d'autre chose? Quand (c'est ce que j'ai entendu dans l'évangile de ce jour qui rapporte la "fugue" de Jésus Luc 2, 41-51), les parents de Jésus ne comprennent pas ce que leur fils leur répond, ni même pourquoi il a agi ainsi, faut-il les considérer comme des malades qui ont besoin d'être guéris? J'opterai plutôt pour l'idée qu'ils ont besoin d'un élargissement de leur compréhension, de leur vision, d'un éveil. Ce mot sera peut être mal perçu de par sa connotation un peu bouddhique , mais ce dont ils (que ce soit les parents ou les disciples) ont besoin c'est d'être comme éveillés à une autre réalité qui est la réalité que vit leur fils et qu'ils ne peuvent saisir.

Pour en revenir aux disciples d'Emmaüs, on peut parler de cécité, de cécité due au fait que leur  comportement (pas assez saint) ne leur permettait pas de discerner et de comprendre que ce Jésus avait vécu faisait de Lui le Messie attendu. Mais n'est ce pas un peu simpliste comme explication? Ne s'agit il pas d'autre chose? Ne peut on pas dire que d'un coup, leur conscience est comme sortie des limites dans lesquelles elle était enfermée pour tenir compte d'autres dimensions qui lui échappait jusque là. Je crois que l'ouverture des yeux est quelque chose de fondamental pour l'humain. Elle peut être progressive comme subite.

J'aimerais dire (peut être est-ce ce que je pense aujourd'hui) qu'il y a des transformations (miracles?) qui se font à certains moments, qui ne sont pas des guérisons (retrouver un état antérieur sans séquelles), mais des changements qui permettent une véritable résurrection intérieure (être debout, être vivant, même si on est grabataire dans la réalité). Il s'agit de faire vivre en nous une présence, une lumière que nous ne percevions pas et qui d'un coup illumine tout autrement. Quand Jésus dit à l'aveugle né qu'Il est la lumière du monde, c'est peut être de cela dont il s'agit, un autre éclairage, un dépassement du visible pour suivre Jésus dans son monde à Lui; Lui qui dit être la porte. Certes à nos yeux, parce que l'aveugle né retrouve la vison, il est guéri, mais la vision il ne l'avait pas, il n'était pas né avec, il n'y a pas guérison, mais transformation. c'est peut être pour cela qu'il peut tenir tête aux pharisiens qui le traitent de possédé. En même temps que sa vision, sa conscience s'est élargie.

Bien sûr Jésus a guéri des malades: des lèpres ont disparu, le flux de sang s'est arrêté, la main atrophiée a retrouvé sa vigueur, la fièvre est tombée, la vie a même été redonnée pour un temps, mais était ce cela l'important? Est ce que ces guérisons (qui permettaient souvent de sortir de l'exclusion) ne permettait pas justement que cela éveille quelque chose dans la perception des personnes guéries mais aussi de ceux et celles qui voyaient ce qui se passait, ce que cet homme accomplissait?

Se rendre compte (je reprends ici un témoignage entendu il y a peu et qui a peut-être mis le feu aux poudres chez moi) que tous les arabes qui tiennent le commerce dans un pays africain, ne sont pas tous des ennemis et pouvoir se dire qu'on a eu un jugement un peu hâtif (parce que les circonstances habituelles voulaient que l'on raisonne comme cela) est un changement de regard. Est ce une guérison? Je n'en suis pas sûre. Faut il se reconnaître pécheur parce que jusque là on a vécu comme cela? Là encore je n'en suis pas sûre. Dire Jésus a visité le coeur de ces personnes, oui, on peut le dire, mais s'agit il d'une guérison? J'aimerais un autre mot et je dois dire que celui de conversion m'irait (faute de mieux) beaucoup mieux, car la conversion c'est un mouvement, c'est un changement.

Peut être aussi que ces changements là, ces "insights" comme on disait quand je faisais mes études de psycho, peuvent être donnés à chacun; ils permettent une restructuration de la personnalité, et non pas une normalité ou une normalisation, mais une naissance, un éveil.

Et ces insights, pour moi, poussent au remerciement parce que quelque chose a changé en soi. Ils ne sont pas guérison, ils sont manifestation du possible. Que ce changement nous dise la présence et la sollicitude de Dieu, oui. mais l'action de grâce est autre chose que se battre la coulpe.

Je crois profondément que cela c'est le travail de l'Esprit Saint, de nous éveiller à comprendre la longueur la largeur la hauteur et la profondeur de l'amour de Dieu, phrase que je viens enfin de comprendre et qui montre (en rajoutant la profondeur) que la présence de Dieu est partout, pas seulement à droite et à gauche, mais aussi en haut et en bas, à moi de savoir ce que je mets dans ce haut et ce bas.

Peut être que justement cet insight qui vient de m'être donné sur la profondeur, montre que Dieu est là où ne l'attend pas. Dans le haut (le ciel) cela ne pose pas de problèmes, mais qu'Il soit aussi là où on plonge parfois ta tête la première, dans cette souffrance, dans ce noir, alors oui, cela change la conception que je peux avoir de Lui, Il est là aussi bien dans la lumière que dans le noir, il est là dans ces lieux où je risque de basculer la tête la première (essayer de vous représenter comme cela m'est arrivé récemment en train de tomber volontairement la tête la première dans une sorte d'abime, vous verrez que ce n'est pas simple, parce qu'en général on se voit en train de s'envoler, pas de tomber).

Est une guérison? Pour moi non, c'est une prise de conscience, un autre regard sur le Divin, prise de conscience qui cependant me modifie, me permet d'élaguer des représentations erronées, et qui me pousse à la louange.

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