mardi 30 avril 2013

Je vous laisse ma paix Jn 14

Quand j'étais en terminale, j'avais un prof d'histoire que j'adorais et je suis allée un jour lui demander ce que le mot "paix" voulait dire. Si je devais revenir à ce dialogue je pense que cela devait être "la Paix c'est quoi pour vous?" Je ne sais plus ce qu'elle a répondu, mais je savais que c'était quelqu'un qui avait agi pendant la guerre et qui passait ses vacances au dessus de Chamonix, dans un de ces endroits où on ressent la paix sans avoir à la chercher. La paix qui se dégage du calme, du beau.

A cette époque de ma vie il y avait eu de nombreux endroits où j'avais goûté cette paix; je pense à Courmettes, au dessus de Tourrettes sur Loup dans la montagne, où j'avais passé de nombreux séjours de vacances organisés par des Eclaireuses (donc à l'époque protestantes par opposition aux guides catholiques auxquelles j'appartenais).

La maison principale


 Là je me sentais bien, peut être simplement parce que j'étais reconnue comme quelqu'un et qu'il n'y avait pas de conflits. Et puis pour aller à Courmettes il fallait le gagner, car il fallait y monter soit par un chemin venant de Tourrettes, soit par un chemin voiture aux 18 tournants qui lui aussi grimpait dur. Et la vue sur la mer était magnifique.

Pourquoi est ce que cela me tourmentait tant? Peut être que du fait du remariage de mon père je ne savais plus très bien où était ma place; peut être parce que je n'étais pas à la hauteur de ses espérances, parce que j'avais toujours l'impression soit de décevoir, soit parce que pour faire ce que j'avais moi envie de faire, il fallait toujours plus ou moins ruser, ne pas dire mais faire. Et la vie n'était pas simple chez moi. Mais une vie simple pour un adolescent est ce que cela existe? Simplement je pense qu'il y avait beaucoup de contradictions, beaucoup de non dit et surtout beaucoup de "paraître";et le "paraître" cela me mettait très mal à l'aise.

Et puis est arrivé le premier pèlerinage de Chartres. Déjà le premier soir, à la veillée d' Esclimont, sur le plan émotionnel, avec ce dais blanc tout en bas, la pluie, les trompettes, les chants du Père Deiss, il s'était passé quelque chose, mais de manière ténue, comme si ça entamait quelque chose.



Le lendemain, l'après midi, mon équipe était en tête de route, et je pense que cette sensation de liberté y a été pour beaucoup, personne devant soi. J'ai été à un moment littéralement remplie par une paix comme je ne l'avais que rarement connue. Un peu comme le temps qui s'arrête, le vent qui prend sa plénitude, le bleu du ciel, la marche qui continue, mais un changement en soi, peut être la fin d'une certaine peur en tous les cas la certitude d'une présence, d'une présence bienveillante, aimante.

Un frère du Prieuré (là je saute bien des années) disait que la Paix, elle vient toujours après une guerre, et cela m'avait bien plu. Un peu comme si la paix était comme quelque chose qui se mérite et qu'il ne faut pas oublier qu'elle vient après. Peut être que sur cette route de Chartres j'avais baissé ma garde, je m'était laissée vaincre, donc remplir d'une présence (parce que je pense que la Paix de Jésus c'est aussi cela), qui m'avait transformée.

Ce matin, je pensais à cette phrase, puisque c'est celle de l'évangile qui était proposé aujourd'hui. Il est vrai que dans ce discours après la Cène, Jésus donne ou laisse pas mal de choses à des disciples. Il donne sa Paix, il donne sa Joie (pour que votre Joie soit parfaite), il donne son Esprit (je ne vous laisserai pas orphelins), il donne un commandement "nouveau "aimez vous comme je vous ai aimés", bref il en donne des choses.

Et m'est venu la certitude que la Paix pour moi aujourd'hui c'est le repos dans l'Esprit, c'est à dire de se laisser guider à chaque instant (enfin cela c'est plus facile à dire qu'à faire) par l'Esprit qui est en moi et qui y demeure  (puisque cela aussi c'est un des thèmes de ces chapitres 14-17), c'est apprendre une certaine obéissance. Quand je dis "repos dans l'Esprit" ce n'est pas tomber par terre, se laisser manipuler. Non c'est autre chose, c'est de laisser le temps faire aussi son travail, c'est ne pas aller plus vite que la musique, c'est trouver un certain rythme, c'est laisser faire, se laisser faire. Peut être qu'il y a le côté passif qui est quand même un certaine renoncement au faire (c'est je pense la condition pour que la Présence demeure en soi) mais c'est aussi l'harmonie, peut-être ce qui devait tant me manquer durant mon adolescence.

Je me disais que l'Esprit Saint c'était comme le chant d'amour entre le père et le fils, et que ce chant qui va de l'un vers l'autre et de l'autre vers l'un les crée aussi l'un et l'autre. Comme une sorte de création permanente de ces trois qui sont un. Et le chant, la voix, c'est toujours ce murmure du ruisseau, ce petit chant qui peut se moduler, être faible, être fort, être imperceptible, être tonitruant, mais avec les voix qui s'entremêlent et qui créent autre chose (une tapisserie peut être) que chaque voix séparée.

Et j'en étais là de mes réflexions, repos dans l'Esprit, quand j'ai revu intérieurement ce qui a été le "doudou" de mon enfance, un morceau de couverture tricotée au crochet que j'ai appelé ma "lala" et qui d'une certaine manière ne m'a jamais quitté; bien sûr plus sous cette forme là de boule plus ou moins informe (d'ailleurs ma grand mère a trouvé moyen de la jeter quand j'avais 4ans et quand nous remontions sur Paris au moment de la fin de la guerre), mais sous d'autres plus subtiles: un pull over en laine, une écharpe... Et là ce que je ressentais c'est que ce truc là, il fallait que je l'abandonne vraiment. Pour moi ce truc là cela met comme un barrage entre moi et le monde, il est mon odeur, il a mon odeur mais surtout il a dû avoir une fonction de protection (ne pas pouvoir dormir sans cela). Peut être que pour se laisser envahir par la paix, pour pouvoir reposer dans l'Esprit, il faut lâcher quelque chose (qui a été très utile) et surtout se rendre compte que cela ne sert plus à rien. Deuil de l'enfance? Deuil de ma mère? Deuil de quelque chose qui empêche l'air de passer? Ma "lala" me permettait de dormir, de me reposer. Elle a surement été ma sauvegarde surtout pendant la guerre. Maintenant la Paix que j'ai reçue, la Paix qui m'a été donnée (parce que cela en aucun cas on ne peut l'acquérir par soi-même), elle est là, à moi de m'en enivrer... de la respirer, et de la faire passer  aux autres.

La seule phrase que j'ai ressentie comme un compliment venant de mon père, et c'était peu de temps avant sa mort, a été: "avec toi je me sens en paix". La paix, on ne l'a pas pour soi, la paix on la communique.

Voilà pour aujourd'hui, 30 Avril 2014.

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